🎙 Rencontre avec Chloé Moser

Bonjour, nous vous proposons la vidéo et la retranscription écrite de notre discussion avec Chloé Moser, l’intrapreneuse de la start-up Archifiltre.

Bonjour 👋

Je suis Chloé Moser, je suis archiviste, c’est mon métier. Je suis adjointe au bureau des archives aux ministères sociaux. Ça fait une vingtaine d’années, un peu plus de 20 ans que je travaille en tant qu’archiviste et ça fait un peu plus de 10 ans que je suis aux ministères sociaux. On a lancé l’idée d’Archifiltre à partir d’un appel à projet, totalement par hasard, et on a commencé cette aventure qui continue depuis. Donc maintenant je suis intrapreneuse d’Archifiltre depuis 6 ans.

💬 C’est quoi un(e) intrapreneur(se) ?

C’est quelque chose que je découvre tous les jours.
Le rôle d’intrapreneuse, c’est vraiment la personne qui porte une idée qui va faire en sorte que cette idée grandisse, soit alimentée par toutes les personnes qui ont à y contribuer et qui ensuite aboutissent à une solution. Je trouve ce rôle d’intra très important en tant que support. Je me sens en tout cas investie de cette mission de porter mon bébé au fur et à mesure du temps et de le faire grandir.

C’est vraiment ce rôle-là de faire la transition entre la startup d’État, qui est une organisation plutôt agile, basée sur des méthodes produits avec des profils, les product owners, les product managers, les coachs, les UX designers, les développeurs, Donc faire le lien entre ce monde-là qui existe, qui est celui qui développe au quotidien le produit, et le monde de l’administration qui, lui, ne connaît pas du tout ces profils. Et puis on n’est pas là non plus pour les former complètement à la gestion de produits. Donc leur transposer les réalités de la startup dans quelque chose qui leur parle et qui va avoir du sens pour eux et qui vont pouvoir trouver du sens par rapport à leur mission. Donc moi, mon rôle, c’est vraiment de transposer ce que la start-up fait pour que l’administration le comprenne et qu’elle trouve le bon moyen de continuer à le soutenir quand c’est pertinent.

💬 Quel est le rôle d’un(e) intra dans une start-up d’État ?

La première chose qui me vient, c’est vraiment de trouver des budgets. Mon rôle en premier, c’est d’arriver à assurer des financements. Comme je le disais, Archifiltre c’est un produit qui existe depuis 6 ans et donc chaque année il faut évidemment vérifier que notre produit a toujours un impact, que c’est toujours intéressant de continuer à le développer, c’est la première chose, et c’est ce qu’on a réussi à démontrer jusqu’à maintenant.
Et puis c’est aussi répondre à des appels à projets, faire une veille sur tout ce qui peut exister comme moyen de financement. Connaître aussi l’écosystème de beta.gouv, de la Fabrique, pour aller trouver toutes les idées qui vont nous apporter ce dont on a besoin pour continuer à développer, donc beaucoup de financement, mais pas que. Suivant les périodes, dans les six années que j’ai vécu, je n’ai pas été intra de la même façon, finalement, tout au long de ces six années, ce qui est intéressant.

💬 Peux-tu nous raconter la génèse d’Archifiltre ?

La genèse d’Archifiltre, c’est une histoire qui a commencé en mai 2017.
Mai 2017, c’était au moment où on changeait de président de la République. Donc on avait François Hollande qui quittait ses fonctions et au moment du départ d’un président, les cabinets ministériels qui travaillent pour le président quittent leurs fonctions puisqu’il va y avoir un nouveau président qui va arriver et le président va nommer des nouveaux ministres qui vont arriver avec leur cabinet ministériel. Donc à ce moment là, c’est une période où tous les conseillers d’un cabinet ministériel savent qu’ils vont partir. C’est prévu à l’avance, c’est anticipé, c’est pas quelque chose de stressant.

Et nous, on sait en tant qu’archiviste que c’est un moment où on va recevoir énormément de documents, puisque quand un cabinet s’en va, il faut que tout soit vidé dans les bureaux, les armoires et donc aussi les serveurs de fichiers.
Donc en mai 2017 on s’est retrouvés à faire l’archivage des différents cabinets qui étaient dans le ressort des ministères sociaux, et on a reçu plus d’un téraoctet de documents sans savoir comment on allait s’en occuper. Puisqu’on savait faire avec du papier, notre métier, c’était de savoir récupérer le papier, le trier, le décrire, éliminer ce qui n’était pas utile et puis garder ce qui était utile. Mais avec plus d’un téraoctet qu’on avait récupéré, on ne savait pas comment faire.

À ce moment-là, un appel à projet, des défis EIG, “Entrepreneurs d’intérêt général”, à etalab. On a vu l’appel à projet, c’était “vous avez une problématique numérique vous avez un irritant, imaginez une solution qui permettrait de répondre à cet irritant”. Avec ma chef qui est aussi créatrice d’Archifiltre avec moi, donc Anne Lambert, on s’est dit on va poser sur le papier finalement un peu notre liste au Père Noël 🎅🏼, comment on imaginerait la solution parfaite, le truc qui va solutionner nos vies, ça fait du bien, ça nous fera du bien d’imaginer qu’il y a quelque chose qui comme ça, d’une manière un peu magique, pourrait tout résoudre.

Donc on ne l’a pas du tout fait en imaginant qu’on serait prises !

Ce n’était pas du tout le but, c’était plus on va le poser, ça va nous faire du bien et peut-être que ça va nous aider à identifier des petites solutions. Mais enfin, c’était juste comme ça pour voir. Contre toute attente, on a été retenu, on ne s’attendait pas du tout. Nous on avait préconçu un espèce de cahier des charges qui, évidemment, est complètement tombé à l’eau parce que quand on a utilisé la méthode produit, et qu’on est reparti des besoins utilisateurs de l’idéation de toute la phase de recherche. En fait, on n’a pas du tout la solution qu’on imaginait au départ. Mais en tout cas, ça a été vraiment un hasard.

On ne s’est pas posé de question de légitimité puisqu’on était juste en train d’écrire une liste au Père Noël.

💬 Pourquoi penses-tu avoir été sélectionnée ?

On a été retenu pour plusieurs raisons je pense, parce qu’il y avait tout de suite un potentiel énorme de réutilisation. L’explosion des fichiers sur les serveurs, c’est une problématique qui se rencontre partout. Dans toutes les administrations, dans les entreprises, et même dans les autres pays, finalement. Du coup comme on était parti sur quelque chose un peu d’idéal, enfin on partait sur notre solution miracle, on y est allé sans avoir d’idée préconçue de ce que ça pouvait être, puisqu’on se laissait guider par une façon de faire qui était finalement amenée par les entrepreneurs d’intérêt general.

💬 Êtes vous partis en investigation avant de créer Archifiltre ?

Ce qu’on a fait pendant la période EIG, finalement, ça a duré dix mois, en 2018.

Ça correspond à peu près à la période d’investigation puisque finalement on a proposé un MVP au bout d’un mois, un mois et demi, qu’on a amélioré progressivement et puis finalement on a évalué à la fin de la période des dix mois que le MVP (Produit minimum viable) était intéressant et qu’on avait envie d’aller plus loin et on voyait déjà un potentiel pour élargir les développements.

💬 La “méthode produit”…. c’est quoi ?

La méthode produit, pour moi, c’est vraiment d’apprentissage de concepts.

J’ai appris énormément sur des choses que je ne connaissais pas comme la recherche utilisateur, la définition des personas. C’est aussi la compréhension de comment on définit un Je le vois beaucoup comme une boîte à outils dans laquelle je viens piocher des choses. c’est quelque chose qui n’est pas figé.

C’est quelque chose qui s’adapte à ce qu’on a besoin de faire et aux moyens qu’on a pour le faire. Je trouve que c’est ça qui est chouette avec la méthode produit, c’est que finalement on peut faire tout de suite quelque chose, même si on ne comprend pas tout ce qu’on fait, on peut faire tout de suite.

💬 Comment as-tu été accompagnée pour apprendre cette méthode de travail ?

C’est beaucoup mes collègues qui m’ont appris. C’est souvent des gens qui sont assez convaincus et passionnés. Et donc, ils font eux-mêmes du militantisme sur leur méthode. Ils ont une façon de l’évaluer, de la critiquer. Et du coup, c’est beaucoup par des lectures, des échanges.

Après, j’ai pu suivre quelques formations complémentaires qui ont été proposées depuis quelques années. beta.gouv aussi propose plein de formations, donc moi, j’en ai fait, je ne sais pas si je les ai toutes faites, mais en tout cas, j’en ai fait plusieurs. Même si je n’ai pas eu toute la formation au début et qu’il m’a manqué des choses au début, ça ne m’a pas empêchée de le faire.

💬 Quels sont vos mesures d’impact chez Archifiltre ?

On essaye de refléter notre impact en montrant le nombre d’arborescences, le volume de fichiers qui a été analysé au total par nos utilisateurs. On a plus de 2000 Teraoctets qui ont été analysés par les utilisateurs d’Archifiltre.

La deuxième façon qu’on avait d’évaluer l’impact, c’était de voir quel était le volume supprimé. Parce que le volume supprimé, ça nous permettait de mesurer derrière les économies en équivalent CO2 auxquelles ça correspondait.

Dans les mesures d’impact auxquelles on pense, mais qui ne sont pas encore mises en place, c’est par exemple le nombre de doublons qu’il y a dans une arborescence. De dire sur les 2000 teraoctets, combien de doublons il y a. Est-ce que c’est 10%, 20%, 30% ? Donc ça, c’est quelque chose qu’on aimerait traquer dans les prochaines versions.

Les autres indicateurs auxquels on pense mais qu’on n’a toujours pas vraiment, c’est le temps gagné à passer par Archifiltre et le coût qu’on économise en faisant du tri sur des serveurs.

💬 Comment marche Archifiltre ?

C’est un logiciel libre qu’on peut télécharger sur le site internet. C’est un exécutable qu’on installe sur son poste. Une fois qu’il est installé, on ouvre Archifiltre, on vient déposer un dossier qu’on veut comprendre, analyser, donc par exemple mes documents ou le serveur du service qu’on utilise, le fichier de serveur du service qu’on utilise, et en fait Archifiltre nous montre une visualisation du contenu du dossier, qui nous permet de comprendre très rapidement de quoi est constitué ce dossier, et de repérer visuellement tout ce qui peut être éliminé, les doublons, ce qui est des documents très anciens et qui sont plus utiles, ou des documents qui sont pas forcément anciens mais on ne s’en sert plus régulièrement, ou d’identifier par exemple un dossier qui comporte plein de vidéos, ça arrive souvent qui n’ont rien à faire là, mais qui prennent beaucoup de place. Donc ce genre de choses qui finalement, ça se fait très vite, mais ça nous fait gagner énormément de place.

💬 Comment tu organises ton temps entre le rôle d’intra et ton métier d’archiviste ?

Je dois dire que ça c’est la partie la plus compliquée. Je suis persuadée, je continue à assurer mes fonctions d’adjointe et donc d’archiviste et en même temps mon rôle d’intra donc je dirais que c’est suivant les périodes, ça peut être très fluctuant, mais c’est à peu près un mi-temps, à peu près. Mais ce qui est compliqué, c’est que je suis persuadée que c’est super important de conserver un pied dans le métier parce que, en tout cas, en tant qu’intra, c’est ce qui me permet d’être au contact des utilisateurs, de mes sponsors, des différents sponsors avec qui on travaille et de tout le réseau. Et donc, de sentir émerger aussi les évolutions, les nouvelles idées, les façons de travailler.

Et du coup, si je n’étais pas dans ce milieu-là, ça m’aurait beaucoup porté préjudice pour Archifiltre. Donc, c’est très important pour moi de conserver ce lien avec le métier.

Et en même temps, être intra, c’est vraiment un rôle important qui prend du temps. Donc y accorder que 50% parfois, ce n’est pas suffisant. Il faut plus. Et c’est pour ça que ça peut être utile d’avoir une équipe un peu plus grande.

💬 Est-ce que tu recommanderais cette expérience ?

Oui, oui, oui. D’ailleurs, j’ai déjà recommandé cette expérience à plusieurs collègues en leur proposant de lancer des idées, ne serait-ce que pour eux-mêmes formaliser les choses. On a des idées, on se rend compte de certaines problématiques au quotidien, que ce soit dans le lien avec les usagers ou dans le fonctionnement de l’administration ou entre administrations, parfois, autant qu’on… on pose ces constats qu’on est les seuls à pouvoir faire ou en tout cas qu’on a pris le temps de faire. Même si on n’est pas retenu pour le projet.

Après, une fois qu’on est retenu, c’est juste incroyable. C’est une aventure de dingue. Moi, je n’aurais jamais imaginé, car je ne suis absolument pas du métier du numérique au départ, mon métier c’est archiviste. J’ai fait de l’histoire médiévale, j’ai fait du latin, de la paléographie…. ce n’était pas du tout mes compétences au départ. Eh bien, j’ai découvert grâce à cette opportunité d’être intra un monde qui m’a ouvert des possibles que je ne soupçonnais même pas.

💬 Quel est le meilleur conseil qu’on t’ait donné ?

Je repense à Emmanuel et Jean-Baptiste, mes deux premiers collègues entrepreneurs d’intérêt général, qui m’ont dit “arrête de t’excuser d’être archiviste”.

En fait, on est là pour répondre à ton besoin en tant qu’archiviste, donc tu n’as pas à t’excuser d’être professionnelle dans ton domaine, c’est exactement ce dont on a besoin.

Donc le meilleur conseil que je peux donner en me basant là-dessus, c’est vraiment ne vous en voulez pas de ne pas être autre chose que votre métier.

Ce qui fait de vous des personnes intéressantes pour porter des projets numériques, c’est justement votre connaissance de votre domaine d’activité. Donc ne vous excusez pas d’être qui vous êtes.

💬 Quel conseil donnerais-tu à un futur intrapreneur ?

Mon conseil c’est vraiment de ne pas se mettre de limites, de ne pas se mettre de barrières. L’administration nous en met beaucoup parce qu’il y a un cadre et c’est normal.

La réalité parfois elle met des barrières et on voit comment l’adapter. Mais au moment où on imagine ces produits, pour répondre à des irritants qu’on voit ou qu’on rencontre, il ne faut pas se mettre de limites.

Il ne faut pas réfléchir en se demandant, comment est-ce qu’on pourrait faire ça ? Peu importe. En fait, on réfléchit à l’idéal et après, c’est les équipes techniques qui voient comment l’idéal peut ou pas, parfois ce n’est pas tout de suite possible, se mettre en place.

Mais il ne faut pas s’auto-limiter en se disant, “non mais ça, ça va être trop dur à faire”. Ou “je ne sais pas comment le faire”, forcément, ce n’est pas mon métier.

💬 Qu’est-ce que la Fabrique ?

C’est ce qui permet de donner un cadre. Parce qu’il y a des choses qu’on ne sait même pas comment ça fonctionne. Si on devait partir tout seul, où est-ce qu’on irait ?

Donc finalement, la Fabrique, elle nous propose des solutions sur certaines choses. Il y en a d’autres où on est allé nous-mêmes en chercher. Il y en a d’autres où on en a proposé des nouvelles. Mais en tout cas, quand on doit commencer, eux, ils nous proposent un cadre déjà existant qu’on peut utiliser.

La Fabrique, c’est aussi des apprentissages sur justement la méthode produit. Voir faire, voir les autres intras lors de discussions, même informelles, avoir des idées, des méthodes, en fait finalement c’est aussi un lieu de ressources humaines avec les autres intras ou autres, d’ailleurs que ce soit les biz devs, les devs, enfin tout le monde. quand ils parlent de leur produit. En fait, ça nous donne beaucoup d’idées pour se les appliquer à nous-mêmes.

Ça a été beaucoup un lieu de ressources et de questionnement de nos pratiques. Ça apporte aussi l’ancrage réaliste dans le fonctionnement d’une administration.

💬 As-tu un “fun fact” à nous raconter ?

Avant le changement de président en 2022, on a eu l’occasion de présenter les startups de la Fabrique à la Ministre du Travail qui était Elisabeth Borne. C’était la période juste avant les élections présidentielles, donc ils avaient un petit peu de temps. La Fabrique a organisé assez rapidement une présentation des startups, et elle présentait les startups du domaine travail, et nous, on était une startup transversale donc on a été aussi présentés. J’ai dû pitcher Archifiltre devant la ministre Elisabeth Borne, la Ministre du Travail, et peu de temps après, elle a été nommée première ministre, et la réaction de ma fille à la nomination d’Elisabeth Borne en tant que première ministre, a été « Ah ben c’est super, elle connaît Archifiltre ! » Donc on a une première ministre Qui a sûrement utilisé Archifiltre dans ses fonctions.

💬 Le mot de la fin ?

Même dans les archives, qui est quand même un domaine pas ultra sexy et pas ultra vendeur à la base, on a réussi à faire quelque chose qui maintenant parle même à un grand public. Donc, il ne faut pas se limiter, même si votre domaine ne vous paraît pas facile à mettre en valeur. Finalement, la méthode produit, ça peut être aussi une façon de rendre compréhensible ce que vous, vous comprenez, mais que les autres autour ne comprennent pas.

 

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